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Channel: Observatoire de la vie politique turque » Jean Marcou
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Le gouvernement turc reste prudent à l’égard des événements qui se déroulent en Egypte.

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Alors que l’insurrection égyptienne se poursuit, avec une vigueur non démentie, en dépit du couvre-feu et qu’une coordination d’organisations de l’opposition appellent à une mobilisation spectaculaire, mardi 1er février, pour obtenir le départ d’Hosni Moubarak, les réactions des experts, des médias et des officiels turcs restent dominées par la prudence. Vendredi dernier, au moment même où le soulèvement égyptien prenait une ampleur sans précédent, le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu, s’est enfin exprimé, en déclarant que les gouvernements des pays arabes ne pouvaient pas rester indifférents aux revendications de leurs peuples, et en soulignant le rôle des nouveaux médias, dans le développement d’une aspiration généralisée à la démocratie. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdoğan, d’habitude plus beaucoup plus prolixe, est, quant à lui, resté remarquablement discret, depuis le début des événements. Plusieurs commentateurs de la presse turque s’étonnent de ce silence pesant, en faisant valoir qu’un pays qui se targue souvent d’être la seule démocratie du monde musulman, pourrait être en l’occurrence plus audacieux.

On ne peut manquer d’observer, en effet, le fort contraste entre la modestie des réactions officielles turques à la situation égyptienne, et les ambitions diplomatiques que les nouveaux dirigeants de l’AKP ont affichées, dans un espace régional où ils se sont souvent attachés, ces dernières années, à améliorer leurs relations avec leurs voisins et à proposer leur médiation pour faciliter la résolution de conflits enlisés. Car, au delà des intérêts purement stratégiques et économiques qu’elle s’est employée à défendre, cette nouvelle diplomatie n’a pas hésité à prendre une tonalité politique marquée, lorsqu’elle a vigoureusement condamné Israël, pour plaider la cause des Palestiniens de Gaza, ou lorsqu’elle a négocié, avec le Brésil et l’Iran, la signature d’un accord ambitionnant de résoudre la crise nucléaire iranienne, au grand dam des Américains. De fait, ce qui avait été d’abord analysé comme une politique néo-ottomane, marquant le retour de la puissance turque sur la scène régionale, a de plus en plus été ressenti comme un nouveau «non-alignement», susceptible d’être le vecteur de certaines valeurs. Et, de fait, la Turquie, pays émergent sur le plan économique, a été souvent décrite, au cours de l’année écoulée, comme une puissance politique régionale, incarnant avec d’autres Etats, comme le Brésil, la revendication d’une nouvelle gouvernance mondiale.

Dès lors il n’est pas étonnant que cette démarche stratégique innovante soit apparue comme en phase avec les transformations politiques intérieures que connaît parallèlement la Turquie. L’activisme déployé au Moyen-Orient par le gouvernement de l’AKP, et le ton adopté par celui-ci à l’égard d’Israël, ont souvent mis du baume sur le cœur des peuples arabes, mais ils ont aussi fait croitre l’intérêt de ceux-ci pour les évolutions politiques internes d’un pays, dirigé par des hommes issus de la mouvance islamiste, qui ont réussi à maintenir l’armée dans ses casernes, tout en conduisant des réformes d’ouverture. Certains se demandent d’ailleurs aujourd’hui si cet exemple turc n’a pas contribué au déclenchement des mouvements de contestation qui sont en cours dans le monde arabe, en apportant la preuve qu’un pays musulman peut développer une démocratie, sans pour autant laisser le champ libre à un islamisme radical.

Force est pourtant de constater que les dirigeants de l’AKP ne se sont jamais posés en exemple politique pour le monde musulman, et qu’ils ont déjà montré des réticences à prendre la défense de la démocratie dans leur environnement proche. Ainsi, en juin 2009, leur avait-on reproché leur silence face à la répression de la «révolution verte» iranienne. Qu’aujourd’hui leur analyse de la crise égyptienne se focalise avant tout les conséquences économiques et stratégiques de celle-ci n’est donc qu’une demi-surprise. Les initiatives diplomatiques turques en direction du monde arabe ont pris avant tout une forte dimension économique (accords de libre-échange, ouvertures de zones franches…), qui risque d’être atteinte, si dans le sillage des révolutions tunisienne et égyptienne, l’ensemble du monde arabe s’embrase. Alors que les prochaines élections législatives doivent avoir lieu en juin prochain, cette orientation diplomatique aux préoccupations commerciales sera sans doute reprochée au gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan, si jamais l’affaire tourne mal pour les investisseurs turcs. À cela s’ajoute l’inquiétude provoquée par les conséquences stratégiques que pourrait avoir, au Moyen-Orient, un effondrement du régime d’Hosni Moubarak. Dès lors la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, ces derniers temps, très sévère à l’égard d’Israël et volontiers frondeuse à l’égard de ses alliés occidentaux, semble, comme ces derniers tétanisés par les incendies du Caire, et surtout soucieuse de faire primer un pragmatisme froid dans sa lecture de la crise égyptienne.
JM


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