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Channel: Observatoire de la vie politique turque » Jean Marcou
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Les déboires du régime d’Hosni Moubarak pourraient encore renforcer la position de puissance régionale de la Turquie.

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Les médias et les experts turcs essayent, en ce samedi, de comprendre la portée des événements qui sont en train de se dérouler en Égypte. Si une partie de la presse («Radikal», «Birgun» ou «Hürriyet Daily News») s’intéresse aux revendications des manifestants et dénonce la frustration du peuple égyptien à l’égard d’une situation politique figée depuis trop longtemps, les médias turcs dans leur ensemble restent assez prudents, et s’interrogent sur les conséquences politiques et économiques des mutations en cours en Egypte. Les quotidiens pro-gouvernementaux, «Zaman» et «Yeni Safak», s’inquiètent même des pillages, et rapportent la destruction de deux des momies du fameux musée de la place Tahrir. La révolution de jasmin tunisienne avait provoqué, en Turquie, comme ailleurs, une réflexion sur le changement politique dans le monde arabe. L’insurrection en cours en Égypte suscite des analyses qui se focalisent actuellement surtout sur les transformations géopolitiques que la chute du régime d’Hosni Moubarak pourrait entrainer.

Le quotidien libéral «Radikal» publie notamment une longue interview du journaliste palestinien, Abdula Bari Atwan, directeur de la rédaction de «Al Quds al Arabi» (l’un des grands journaux arabes publié à Londres), et par ailleurs commentateur de la célèbre chaine de télévision qatarie, Al-Jazeera, qui rappelle que l’Égypte, malgré son déclin des dernières années, reste un pays pivot dans le monde arabe. Selon lui, «tout changement important qui se produit en Égypte a des répercussions dans l’ensemble de la région». Et il ajoute : «quand l’Égypte a commencé à promouvoir le nationalisme arabe ou le socialisme, le monde arabe a été touché par ces tendances», avant de comparer ce pays à un éléphant qui «est lourd» mais qui «va très vite lorsqu’il se met en marche», et risque «de tout emporter sur son passage».

C’est en fait ce risque qui préoccupe les commentateurs turcs. Leur méconnaissance fréquente de l’Égypte accroit encore leur inquiétude. En effet, bien que les relations entre la Turquie et les pays arabes aient connu un renouveau parfois spectaculaire, au cours des dernières années, les principales initiatives de la diplomatie turque en la matière n’ont pas concerné l’Égypte, mais plutôt des États voisins comme la Syrie, l’Irak, le Liban, ou encore, sur le plan économique notamment, les pays de Péninsule arabique. Il faut dire que, depuis 2002, Hosni Moubarak a regardé avec beaucoup de méfiance l’expérience politique de l’AKP, d’une part, parce que celle-ci lui est apparue comme ce modèle de régime islamique modéré que les Américains appellent de leurs vœux pour prendre le relai de régimes laïques à bout de souffle, d’autre part, parce que c’est une expérience susceptible de donner des idées à l’opposition égyptienne. Par ailleurs, les prises de position du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdoğan, à l’égard d’Israël, depuis le «One minute» de Davos en 2009, ont souvent enthousiasmé l’opinion publique égyptienne, plaçant le Rais dans une position encore plus inconfortable en ce qui concerne la relation qu’il entretient avec l’Etat hébreu. On se souvient que, lors du périple difficile de la caravane «Viva Palestine» (cf. notre édition du 17 janvier 2010), il y a un an, la diplomatie turque s’était illustrée au détriment d’une diplomatie égyptienne qui avait entrepris d’encadrer de façon draconienne cette initiative en faveur de Gaza pour éviter qu’elle ne provoque des réactions israéliennes. Les affrontements, qui avaient notamment opposé des humanitaires turcs aux forces de police égyptienne dans le port d’El Arich, avaient même amené des députés de l’AKP, qui participaient à la caravane, à accuser la police égyptienne d’être encore «pire» que la police israélienne. Depuis l’automne dernier un partenariat stratégique entre Le Caire et Ankara est en cours d’élaboration, mais ce rapprochement diplomatique a d’autant plus tardé que les deux pays apparaissent comme des puissances régionales, qui peuvent se retrouver en concurrence sur de nombreux dossiers.

La situation insurrectionnelle que connaît actuellement l’Égypte risque toutefois d’affaiblir durablement la position stratégique et le statut de puissance régionale de ce pays, renforçant par contrecoup une influence sans cesse ascendante de la Turquie. Cette hypothèse donnera encore plus d’atouts à Ankara dans sa relation avec Washington. Il est probable en effet que la Turquie profitera de ce statut renforcé de puissance émergente et de pays stable de la région, pour faire admettre un peu plus aux Etats-Unis, la marge de manœuvre dont elle dispose désormais à leur égard. Cette évolution pourrait en outre faire ressortir les atouts stratégiques de la candidature turque à l’UE, notamment aux yeux des pays européens qui la contestent. La France, déjà prise à contre-pied par la révolution de jasmin tunisienne, va devoir revoir d’urgence ses options stratégiques en méditerranée orientale qui de façon anachronique ont beaucoup ménagé, ces dernières années, un président égyptien usé par trente ans de pouvoir en lui accordant en outre un statut privilégié de co-président de l’Union Pour la Méditerranée (UPM), alors même qu’elles négligeaient la Turquie, en lui déniant une vocation européenne et en ne prenant pas suffisamment la mesure de sa montée en puissance sur la scène internationale.

Ce changement de donne géostratégique devrait ainsi réjouir les experts turcs, mais on remarque qu’il les inquiète aussi beaucoup. Pays situé au cœur d’une zone dangereuse, en particulier entre trois pôles (les Balkans, le Caucase et le Proche-Orient) traversés par des conflits redoutables, la Turquie n’aime sentir son environnement proche en ébullition. De surcroit, l’extension des révolutions tunisienne et égyptienne à d’autres Etats voisins (des manifestations importantes réclamant la démission du premier ministre se sont produites, vendredi, en Jordanie) pourrait avoir des conséquences économiques non négligeables pour un pays qui a beaucoup investi dans le monde arabe, au cours des dernières années, y compris en Egypte…
JM


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