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Channel: Observatoire de la vie politique turque » Jean Marcou
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2010 : le bilan de la politique intérieure turque.

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Après les coups de boutoir médiatiques et judiciaires qui ont ruiné l’autorité politique de l’armée au cours des années 2008 et 2009, l’année 2010, en ajoutant aux vagues d’arrestations et aux procès de militaires, une réforme constitutionnelle, frappant principalement la hiérarchie judiciaire, a fait chanceler le système politique de démocratie contrôlée, établi par la Constitution de 1982.

En 2010, le processus de démilitarisation s’est poursuivi, en prenant une intensité encore supérieure. À cet égard, cette année aura été marquée, dès le mois de janvier, par la révélation du plan «Balyoz» (cf . nos éditions du 21 et 23 janvier 2010) ; une affaire qui a dévoilé un scénario, imaginé par l’armée, pour déstabiliser le gouvernement de l’AKP dès les lendemains de son élection. Dès lors, plus encore que les affaires précédentes de complot, elle a contribué à mettre à nu le rôle de gendarme que l’armée s’était arrogée dans le système. «Balyoz» constitue, en outre, un tournant par l’ampleur du nombre et le niveau de responsabilité des généraux qui y sont impliqués. Le 16 décembre dernier, en effet, ce ne sont pas moins de 196 militaires de haut rang qui ont commencé à comparaitre devant la justice civile !

Pourtant, au-delà de cette nouvelle affaire, l’événement majeur, en matière politico-militaire, aura été, au début du mois d’août 2010, le déroulement totalement inédit, dans sa forme et dans sa portée, du Conseil militaire suprême (Yüksek Asker Şura ou YAŞ). En utilisant les enquêtes en cours contre des responsables militaires, le gouvernement a réussi à bloquer, pendant 5 jours, la nomination du chef d’état major et celle du commandant de l’armée de terre. Lors de ce Conseil, marqué par la présence permanente du premier ministre en personne, l’autorité civile a de fait osé contester à l’armée le pouvoir de cooptation de ses chefs qu’elle s’est octroyée, et qui constitue l’un des socles de sa puissance et de son autonomie à l’égard du gouvernement (cf nos éditions des 2, 6, 7 et 10 août 2010).

Cette intensification de la démilitarisation du système s’est accompagnée d’un sévère coup porté à la hiérarchie judiciaire, autre bastion du pouvoir d’État kémaliste qui continue à résister au gouvernement (cf. nos éditions des 24 mars, 23 avril, 5, 7, 14 mai 2010). Pour ce faire, c’est-à-dire pour promouvoir principalement une restructuration de la composition de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur des juges et des procureurs (équivalent en Turquie du Conseil supérieur de la magistrature en France), le gouvernement a remis à l’ordre du jour, au printemps dernier, la question constitutionnelle, éludée depuis l’enlisement du projet de Constitution civile en 2008. Ainsi est-il parvenu, non seulement à réduire l’influence, sur le système, des hautes cours et de la hiérarchie judiciaire, mais aussi à obtenir une nouvelle victoire électorale, lors du référendum qui, en septembre, a approuvé cette réforme constitutionnelle (cf nos éditions des 11, 13, 15 et 16 septembre 2010).

Après les élections locales de mars 2009, qui avaient indiqué un certain tassement de l’AKP, le référendum du 12 septembre 2010, qui a vu le «Oui», prôné par le gouvernement, enregistrer un score de plus de 58%, a conforté le leadership de la formation de Recep Tayyip Erdoğan sur la vie politique turque (cf. nos éditions des 13, 15 et 16 septembre 2010). En remportant sa sixième victoire depuis 2002, lors d’un scrutin au suffrage universel, l’AKP a confirmé que son influence reste très forte sur l’électorat turc et relativisé du même coup la portée du renouveau du CHP, qui aurait du être l’un des faits marquants de cette année 2010 (cf. notre édition du 11 novembre 2010). Car l’éviction rocambolesque de Deniz Baykal et son remplacement par Kemal Kılıçdaroğlu n’ont pas tenu toutes leurs promesses (cf nos éditions des 10, 11, 23 et 25 mai 2010). Lors du référendum du 12 septembre, le parti kémaliste n’est pas parvenu à se poser en alternative social-démocrate crédible, et il est apparu encore trop comme le défenseur du système hérité de la Constitution de 1982. Son congrès extraordinaire de décembre 2010, lui a certes permis de se défaire de la vieille garde du parti, et notamment de l’ancien secrétaire général, Önder Sav, mais il en faudra plus pour rivaliser avec l’AKP, lors des prochaines élections législatives, qui auront lieu en juin 2011, et dont l’ordre du jour s’annonce particulièrement chargé. Outre le projet de Constitution civile, dont le parti de Recep Tayyip Erdoğan entend faire l’un des thèmes de sa campagne, la question du port du voile (dans les universités, dans la fonction publique et peut-être même dans les écoles !), qui a été réactivée à la rentrée universitaire 2010, risque en effet d’être au cœur d’un rendez-vous électoral, pour lequel le principal parti d’opposition ne semble pas encore fin prêt.

En dehors de cette perspective électorale, l’année 2010 aura confirmé aussi que la question kurde reste le problème de fond que la Turquie doit résoudre, si elle veut véritablement parachever la démocratisation de son système politique (cf. nos éditions des 30 janvier, 22 juin, 24 et 26 août, 29 octobre et 23 décembre 2010) . Le résultat peu concluant de «l’ouverture démocratique» lancée par le gouvernement en 2009, la dissolution du DTP il y a un an, la survenance d’affrontements armés et d’attentats nombreux au cours du premier semestre 2010, n’ont pas fait disparaître tout espoir de solution politique. Mieux, en fait, à l’encontre d’une conjoncture défavorable, celle-ci semble désormais devenir de plus en plus incontournable. Ainsi, bien que la révision constitutionnelle du 12 septembre l’ait ignorée, la question kurde n’a cessé de s’inviter dans le débat politique turc. À côté du rôle parlementaire joué par le BDP, cette nouvelle structure qu’est le DTK (Demokratik Toplum Kongresi – Congrès pour une société démocratique), qui s’appuie principalement sur la société civile, est apparue de plus en plus, au cours du second semestre 2010, comme le maillon clef d’une stratégie des organisations kurdes, qui consiste à déborder le gouvernement, en poussant à une reconnaissance concrète du fait politique kurde (cf. notre édition du 23 décembre 2010). Par les trêves qu’il décrète unilatéralement et les prises de position de son leader (très visité cette année dans sa prison d’Imralı), le PKK est en train d’essayer de se faire une place dans ce processus pour tenter d’en devenir l’un des acteurs reconnus. Il est certes peu probable que cette tentative de fédéralisation de fait soit consacrée officiellement à court terme, mais le gouvernement aura de plus en plus de mal à se faire le chantre de la reconnaissance de la diversité de la Turquie, s’il continue à camper sur les positions nationalistes et centralisatrices traditionnelles qui sont celles de l’Etat turc.

En ce qui concerne justement les identités, 2010 aura laissé place, comme les années précédentes, à des événements remarqués comme la tenue pour la première fois à Istanbul d’une manifestation commémorant le génocide arménien (cf. notre édition du 28 avril 2010), l’organisation de cérémonies religieuses sur les sites emblématiques de Sümela et d’Aktamar (cf. nos éditions des 16 août et 20 septembre 2010), ou la restitution de l’orphelinat de Büyükada au Patriarcat grec orthodoxe. Mais, de la même façon que pour la question kurde, si ces initiatives ne sont pas suivies de mesures concrètes ou continuent
à cohabiter avec des comportements officiels particulièrement nationalistes, elles risquent de n’avoir qu’une portée relative. À cet égard, on ne peut manquer d’observer également que l’année 2010, aura vu le séminaire orthodoxe d’Heybeli Ada rester fermé, la question alévie demeurer sans réponse, le procès des assassins de Hrant Dink s’enliser, ou le gouvernement réagir très violemment à la reconnaissance du génocide arménien par le parlement suédois. L’année qui vient de s’écouler aura donc confirmé que les initiatives spectaculaires en matière de droit et de libertés, comme a pu l’être également l’autorisation de la manifestation du 1er mai sur la place Taksim (pour la première fois depuis 33 ans, cf. notre édition du 2 mai 2010), n’épuisent pas le débat sur l’instauration d’un Etat de droit véritable en Turquie.
JM


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